Biographie de Abbé de Saint-Pierre

 

Le théoricien politique et économique français Charles Irénée Castel, abbé de Saint-Pierre (1658-1743), fut un des premiers philosophes des Lumières. Son pamphlet a exprimé le bouleversement intellectuel et la fascination pour les affaires de l'État qui ont marqué cette époque.

De noble lignée, en 1680, Charles Irénée Castel, connu sous le nom d'abbé Saint-Pierre, quitte sa Normandie natale et ses rêves de jeunesse d'une vocation monastique pour l'atmosphère intellectuelle exubérante des études universitaires parisiennes. Pendant cinq ans, il suivit tous les cours des sciences physiques, s'éloignant de plus en plus des préoccupations de son état ecclésiastique et de ce qui restait de sa foi. Après 1685, il revit brièvement les préoccupations de l'éthique et de la théologie morale avant d'abandonner à nouveau le divin pour ce qui serait le domaine de sa véritable vocation intellectuelle – la théorie politique. Désormais, sa religion et sa «consécration» aux ordres lui procuraient une vie confortable dans les sinécures, ce qui le laissait libre de spéculer sur l'art de gouverner.

En 1712, Saint-Pierre compose son premier traité important, le [1945-19006] Projet pour une paix éternelle en Europe un texte qu'il affinera pour les années à venir. Il envisageait une confédération de souverains européens qui renonceraient à l'usage des armes et soumettraient leurs différends à un conseil d'arbitrage. En fait, il modernisait simplement un traité de 1624 du ministre de Henri IV, le duc de Sully.

Le principe politique fondamental de l'œuvre de Saint-Pierre était son refus d'accepter comme inévitable ou rationnel le droit divin des rois. Son traité La Polysynodie (1718) représente, au sommet des politiques de libéralisation du régent, une attaque pure et simple contre la souveraineté individuelle, suggérant la domination par plusieurs conseils et offrant de nombreuses comparaisons défavorables tirées du règne de Louis XIV . L'Académie française, à laquelle il avait été élu en 1694, fut scandalisée, et lorsque Saint-Pierre refusa de se rétracter, il fut renvoyé sans préavis. Son influence politique grandissait cependant; l'année précédente, il avait publié Mémoire sur la taille tarifée, suggérant des réformes fiscales qui équivalaient à la première version de l'impôt sur le revenu proportionnel et déclaré. Les historiens considèrent que c'est sa contribution la plus importante aux affaires gouvernementales, puisque certaines de ses dispositions ont effectivement trouvé une application limitée après 1832.

Dans les années qui suivirent, Saint-Pierre devint un habitué du salon de Madame de Tencin et un collaborateur régulier aux réunions du Club de l'Entresol; c'est ici que le baron de Montesquieu, qui appela Saint-Pierre son maître, le rencontra. L'Abbé était très probablement responsable de la dissolution de ce groupe progressiste, cependant, quand en 1731 A. H. de

Fleury a suggéré que lui et d'autres comme lui devraient s'abstenir de discuter de la politique. Dans les dernières années de sa vie, Saint-Pierre continua d'écrire assidûment sur la pratique et la gestion du gouvernement en poursuivant son traitement chronologique complet des affaires de la France couvrant les années 1658 à 1739; Les critiques ont comparé favorablement ce dernier ouvrage au Sie‧cle de Louis XIV de Voltaire.
Curieusement, Voltaire et la plupart des philosophes ultérieurs dont Jean Jacques Rousseau, dédaignèrent l'abbé, le plaçant volontiers avec des manivelles et des inventeurs et se souvenant de son chimérique Trémoussoir (une chaise thérapeutique qui heurtait son utilisateur comme une voiture) mieux que ses projets perspicaces d'assistance publique aux orphelins et aux personnes âgées et infirmes, le maintien des autoroutes en hiver (avec des preuves statistiques de son avantage économique), et la réforme postale parisienne. Mais Saint-Pierre manquait de l'assurance doctrinaire de la génération suivante; évitant des plans grandioses pour l'amélioration humaine, il continua jusqu'à la fin à affiner ses suggestions pratiques, un modeste réformateur qui mourut en 1743, avant l'âge des visions prérévolutionnaires.

          Lectures complémentaires sur l'abbé de Saint-Pierre

En anglais, un traitement récent de Saint-Pierre est Merle L. Perkins, La Philosophie Morale et Politique de l'Abbé de Saint-Pierre (1959), qui contient une vaste bibliographie. Des études partielles de lui apparaissent dans E. V. Souleyman, La vision de la paix mondiale en France XVIIe et XVIIIe siècle (1941); Carl Joachim Friedrich, Paix inévitable (1948); et Francis Harry Hinsley, Le pouvoir et la poursuite de la paix: théorie et pratique dans l'histoire des relations entre États (1963).